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Biologie : les lémuriens défient les lois de l’évolution

En menant de vastes analyses phylogénomiques sur les lémuriens, des biologistes ont découvert que ces animaux continuent d’évoluer, près de 53 millions d’années après leur arrivée supposée à Madagascar. Pourtant, les modèles classiques d’évolution prévoient un ralentissement, voire une baisse, du rythme de diversification des espèces au fil du temps. Les lémuriens semblent défier cette règle de la nature. 

Primates endémiques de Madagascar, les lémuriens comptent plus de 100 espèces vivantes, dont le maki catta ou Lemur catta, le lémurien à queue annelée popularisé par le personnage de King Julian dans le film Madagascar, et le microcèbe de Madame Berthe (Microcebus berthae) ressemblant à une petite souris arboricole. Ces animaux appartiennent au sous-ordre des strepsirrhiniens, qui a divergé plus tôt des haplorhiniens, le groupe auquel appartiennent les singes, les grands singes et les humains. Ils seraient arrivés sur la Grande île depuis l’Afrique il y a environ 53,2 millions d’années, probablement en traversant le canal du Mozambique à bord de radeaux de végétation.

Madagascar, une île propice à la diversification des espèces

Comme Madagascar est isolée et dépourvue de grands prédateurs, les lémuriens se sont très vite répandus et surtout diversifiés. Rien d’étonnant puisque, lorsqu’une espèce colonise un nouvel environnement, elle connaît souvent un épisode de diversification rapide avant de se stabiliser, voire de décliner, à mesure que les niches écologiques se remplissent. Mais ce schéma ne semble pas s’appliquer aux lémuriens de Madagascar. Selon une nouvelle étude codirigée par l’Université d’État de l’Oregon, ces animaux continuent d’évoluer, près de 53 millions d’années après leur arrivée supposée sur la Grande île de l’océan indien.

Les lémuriens présentent actuellement des taux de spéciation particulièrement élevés

Cette étude américaine a examiné l’évolution des lémuriens à partir de données phylogénomiques incluant un vaste échantillon de primates, notamment les Lorisiformes d’Afrique et d’Asie continentale, qui regroupent les lorisidés (loris, pottos et angwantibos) et les galagidés (galagos). Elle établit que trois groupes de lémuriens — les microcèbes, les lépilemurs et les lémurs bruns — présentent actuellement des taux de spéciation particulièrement élevés. En d’autres termes , de nouvelles espèces se développent plus vite que chez les autres. À l’inverse, leurs cousins d’Afrique et d’Asie continentale évoluent à un rythme nettement plus lent, conformément aux théories classiques sur l’évolution des espèces. Cette différence est d’autant plus remarquable qu’elle se maintient malgré l’ancienneté des lémuriens à Madagascar, souvent synonyme d’essoufflement évolutif.

Un phénomène dû à l’hybridation

L’étude note en outre que les lémuriens présentant les taux de spéciation les plus élevés affichaient également d’importants niveaux d’introgression génomique, c’est-à-dire d’hybridation entre espèces. « Cela suggère que, chez ces primates, l’hybridation n’est pas une impasse évolutive, comme c’est souvent le cas, mais un moteur potentiel de diversification », souligne dans un communiqué Kathryn M. Everson, chercheuse à l’Université d’État de l’Oregon et autrice principale de l’étude. Les biologistes attribuent en partie cette vitalité génétique à l’hybridation, un phénomène longtemps perçu comme un frein à l’évolution. Plutôt que de nuire à la stabilité des espèces, le mélange entre lignées proches aurait, chez les clades, permis la circulation de nouveaux variants génétiques, permettant une plus grande diversification.

Cette étude pourrait aider à une meilleure protection des lémuriens 

Si les données phylogénomiques indiquent que les lémuriens continuent d’évoluer, ces animaux sont aujourd’hui gravement menacés par la destruction accélérée de leurs habitats naturels par l’homme, arrivé bien plus tard à Madagascar. Selon la liste rouge de l’UICN, près de 96 % d’entre eux sont désormais considérés comme menacés d’extinction, dont 30 % en danger critique. Seize espèces de lémuriens ont déjà disparu au cours des 2 000 dernières années à cause de l’homme. L’équipe de recherche de l’Université d’État de l’Oregon espère que ses travaux pourront contribuer à la conservation de ces primates, en soulignant leur importance pour la compréhension des mécanismes de l’évolution des espèces.

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