Corollaire de la liberté d’expression, et facteur indispensable à la démocratie, le droit à l’information est aujourd’hui supporté à 80 % par des investisseurs privés. Souvent milliardaires, ces derniers subissent un « délit de sale gueule » de la part de la grande majorité des journalistes français, qui ont pourtant besoin d’eux pour financer une industrie déficitaire.
Des milliardaires à la rescousse
Si la presse traditionnelle a dû avoir recours à l’investissement privé, malgré une très favorable politique de subvention en France, c’est, entre autres, parce qu’elle a perdu la bataille de l’actualité. Chaînes d’information en continu, mais surtout Internet et réseaux sociaux, ont fait évoluer la manière de s’informer des citoyens. Et à en croire une enquête néerlandaise réalisée en 2020 par l’institut TNS NIPO, la tendance s’accentue depuis quelques années : « en 2029, 80% des gens s’informeront par Internet et 72% (aussi) via la TV. Les journaux vont perdre aussi du terrain : de 59% aujourd’hui, ils ne seront plus sources d’information que pour 37% des gens ». Le temps moyen passé à lire la presse écrite dans le monde a ainsi décliné de 25% en quatre ans, entre 2010 et 2014, selon un rapport révélé par The Guardian. Une situation qui a amené la presse française – même un de ses plus éminents membres comme Le Monde – à devoir attirer des investisseurs pour survivre à l’arrivée de concurrents bien plus influents, comme les GAFAM.
Des magnats voulant influencer l’opinion ?
Malgré leur importance vitale pour certains titres, l’arrivée de « milliardaires » au capital de grands quotidiens est souvent brocardée. Selon l’avocat Juan Branco, accusé pourtant d’avoir manipulé sa propre page Wikipedia, les milliardaires investiraient dans la presse pour influer en leur faveur l’opinion publique. Mais comme l’explique Grégory Derville, chercheur en sciences politiques, « les médias ne sont influents que pour certains publics, dans certaines circonstances et sous certaines conditions ». « L’influence des médias consiste surtout en un renforcement des opinions et des comportements déjà existants. Ils fournissent à l’individu des arguments qui réduisent ses doutes éventuels, et qui le persuadent plus encore que sa conviction est la bonne ».
Le retour sur investissement paraît donc bien maigre pour ces milliardaires. A ce sujet, Xavier Niel (Le Monde), Arnaud Lagardère (JDD), Bernard Arnault (Les Échos), Vincent Bolloré (CNews), Patrick Drahi (Libération) et Martin Bouygues (TF1) ont été auditionnés au Sénat devant la commission d’enquête « Concentration des médias en France » et sommés de s’expliquer sur la raison de leur intérêt pour les médias. Ainsi, Bernard Arnault justifie son investissement par sa volonté de sauver des « fleurons irremplaçables » de la presse française, avec l’objectif à terme, de « de faire en sorte que ces entreprises réussissent à redevenir rentables ». Business is business.
Une profession en décalage avec la population
Le débat fait souvent rage autour de la couleur politique des journalistes. Ainsi, s’il existe une presse de droite, la profession dans son ensemble penche très fortement à gauche. Ainsi, un sondage réalisé par l’Ifop pour Marianne en avril 2001 avait montré que seulement 6 % d’entre eux allaient voter à droite lors de la présidentielle, contre 63 % à gauche, les autres ne se prononçant pas. La représentation syndicale de la profession est un autre indice éloquent : le Syndicat national des journalistes, très fortement marqué à gauche, revendique – et truste – la place de syndicat numéro un depuis de nombreuses années. Un décalage avec la diversité des opinions de la population française que le politologue Roland Cayrol explique par le fait que « les journalistes se rapprochent des catégories sociales et intellectuelles les plus intégrées à la culture de gauche, les enseignants et les chercheurs ».
Un univers idéologique uniforme « déjà en déclin avant même qu’il ne subisse l’électrochoc de l’arrivée d’Internet qui a créé un état disruptif. La presse souffre de longue date d’un déficit d’innovation » signale Jean-Clément Texier, conseiller des principaux groupes médias français et européens. La “mainmise” des milliardaires sur la presse que dénonce la doxa journalistique pourrait donc être paradoxalement une solution à un problème créé en partie… par l’uniformité de la presse.