Des scientifiques danois annoncent la mise au point d’un anti-venin « universel », qui protège contre toute une famille de serpents venimeux d’Afrique, y compris le mamba noir. Ce traitement repose sur un mélange d’anticorps d’alpaga et de lama immunisés. Les experts saluent cette avancée médicale comme un progrès majeur qui sauvera des dizaines de milliers de vies dans les zones rurales d’Afrique, d’Asie et d’Amérique latine.
Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), les morsures de serpents venimeux provoquent chaque année la mort de plus de 130 000 personnes dans le monde, et font trois fois plus de personnes amputées ou handicapées à vie. La plupart des cas surviennent dans des zones rurales d’Afrique, d’Asie et d’Amérique latine, où la population n’a pas un accès rapide et fiable aux traitements comme les sérums équins. Aussi, la complexité et la diversité des venins ne facilitent pas cet accès. De fait, chaque espèce de serpent produit un mélange unique de dizaines de toxiques.
Un anti-venin pour neutraliser presque toutes les toxines
Pour répondre à ces problématiques, les scientifiques travaillent à la conception d’un anti-venin capable de neutraliser toutes les toxines, ou au moins un bon nombre de toxines d’une région. Une équipe de chercheurs danois, menée par Andreas Laustsen à l’Université technique du Danemark, annonce justement le développement d’un anti-venin « universel », capable de neutraliser les toxines de multiples espèces en une seule injection. Ce traitement protégerait les souris contre 17 des 18 serpents élapidés présents en Afrique, notamment les cobras, les mambas et les rinkhals. La recherche des scientifiques danois a été publiée le 15 octobre dans la revue Nature.
Les nanocorps plus puissants, plus précis et plus stables au niveau thermique
Ce traitement révolutionnaire repose sur des nanocorps, des anticorps dérivés d’un groupe d’animaux comprenant des chameaux, des lamas et certaines espèces de requins. Les scientifiques étudiaient déjà leur potentiel dans le traitement du cancer et de la grippe pandémique. Ces anticorps auraient une structure qui leur confère une plus grande puissance, une plus grande précision et une plus grande stabilité thermique. « Leur petite taille permet aux nanocorps de pénétrer les tissus et de traverser les membranes cellulaires plus efficacement. Ces propriétés peuvent les rendre plus efficaces lorsqu’ils sont utilisés dans certains traitements », explique le professeur Neil Mabbott, de l’Institut Roslin de l’Université d’Édimbourg.
L’anti-venin produit via une vieille méthode
Dans le cadre de leurs travaux, les chercheurs danois ont immunisé un alpaga et un lama contre 18 des serpents élapidés les plus importants d’Afrique sur le plan médical. Ils ont ensuite prélevé des échantillons de sang sur ces animaux, identifié les anticorps qui les protégeaient le mieux contre les toxines du venin et les ont transformés en un anti-venin recombinant unique.
Notons que depuis les travaux d’Albert Calmette à l’Institut Pasteur dans les années 1890, les traitements contre les morsures de serpent n’ont pas beaucoup évolué. On injecte toujours du venin à un cheval pour qu’il développe des anticorps, puis on purifie son sang et on s’en sert pour soigner les victimes humaines. Cette méthode est efficace, mais le sérum ne fonctionne que contre quelques espèces locales. Aussi, sa production reste coûteuse et variable, et le risque de réaction immunitaire reste important.
Le traitement fonctionne contre le venin de 17 des 18 espèces d’élapidés d’Afrique
Pour le traitement suédois, l’efficacité et le champ d’application est plus large. Après avoir immunisé les animaux (alpaga et lama) avec des venins de serpents africains variés, l’équipe de recherche a isolé, grâce à une technique de biologie moléculaire appelée phage display, huit nanocorps capables de neutraliser la quasi-totalité des venins testés. Des études sur des souris ont montré que le traitement fonctionnait contre le venin de 17 des 18 espèces d’élapidés – à l’exception du mamba vert oriental – et qu’il neutralisait efficacement la nécrose causée par le cobra cracheur et les rinkhals.
L’anti-venin pas disponible avant cinq ans
De plus, contrairement au procédé de fabrication traditionnel, l’anti-venin des chercheurs danois peut être reproduit en laboratoire et fabriqué en série. Les scientifiques saluent cette avancée médicale comme un progrès majeur qui permettra de sauver des milliers, voire des millions de vies dans les régions pauvres ou reculées du monde. Ils préviennent toutefois qu’il faudra probablement au moins cinq ans avant de voir ce remède en pharmacie. Les chercheurs attendent pour l’heure les financements nécessaires pour la prochaine série d’essais cliniques chez l’humain. Si tout se passe bien, les autorités sanitaires et réglementaires devront ensuite valider la mise sur le marché de l’anti-venin.




